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#Éducation

Les enjeux de la pudeur

Dans nos parcours TeenSTAR, on aborde avec les jeunes la question de la pudeur en cherchant à ne pas réduire cette notion à une affaire de longueur de jupe ou de largeur de bretelles de débardeur.
En effet, la pudeur n’est pas qu’une affaire de conventions, elle est bien plus que ça.
Alors que notre société se caractérise par une forme d’exhibitionnisme s’exprimant notamment à la télévision et sur les réseaux sociaux (mode du selfie et de la story), société dans laquelle la mise en scène et mise à nu de soi est la règle, comment penser la pudeur et comment en parler avec nos jeunes ? La pudeur est-elle acquise ou innée, universelle ou variable selon les lieux et les époques ?

La pudeur vient du latin « pudor » qui signifie « sentiment de réserve, de retenue, sentiment moral, honneur ». Bien avant l’avènement du christianisme, elle est élevée au rang de vertu par Platon et Aristote. Si la vertu est « la juste mesure entre deux excès », elle est donc étrangère à la pruderie. Distincte aussi de la décence qui correspond à des règles édictées par une instance extérieure et très variable selon les lieux et les époques. La pudeur, elle, obéit à des lois générales mais se construit de manière personnelle chez chacun de nous.
La Bible raconte dans la Genèse ce passage où Adam et Eve, premiers parents de l’humanité, se rendent compte de leur nudité après avoir désobéi à Dieu. « Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils connurent qu’ils étaient nus ; ils cousirent des feuilles de figuier et se firent des pagnes.» Découvrant leur nudité et simultanément l’altérité, ils sentent instinctivement qu’il faut désormais cacher ce corps nu au regard de l’autre et en premier lieu aux yeux de Yahvé. Ainsi, en entendant le pas de Yahvé dans le jardin d’Eden, Adam lui répond « j’ai eu peur parce que je suis nu et je me suis caché ». C’est la reconnaissance de sa nudité autant que celle de sa vulnérabilité, associée au regard de l’autre, qui produit la pudeur. Ce passage invite à penser la pudeur comme étant un sentiment, une énergie, qui s’inscrit dans l’Homme au moment où il se différencie du grand tout dans lequel il était baigné ; quand il sort de la béatitude originelle. Cela signifie qu’il faut donc d’abord être séparé de l’autre, pour expérimenter la pudeur. Ainsi la reconnaissance de soi, de son manque, de sa vulnérabilité permet l’ouverture à l’altérité. Le vêtement marque cette frontière entre soi et le monde qui m’entoure et recouvre cette vulnérabilité.

Dans un autre texte fondateur des civilisations occidentales, L’Odyssée d’Homère, Ulysse, guerrier valeureux, condamné à errer sur les mers avant de rentrer chez lui, échoue sur l’île de la déesse Nausicaa. Il est réveillé par des voix féminines et s’interroge alors : « suis-je donc par hasard à proximité d’hommes doués de la parole ? ». Se rapprochant d’une terre civilisée et réintégrant ainsi l’humanité, Ulysse prend soin de se couvrir, « sa robuste main avait cassé dans l’épaisseur du bois une branche feuillue, afin de cacher tout autour de son corps sa nudité de mâle ». Ce texte met en valeur un autre aspect de la pudeur comme vertu, non plus dans un sens de juste mesure, mais dans le sens de rendre plus humain, d’humaniser. La pudeur, en effet, humanise, nous distingue des animaux qui eux, n’ont pas ce sentiment de pudeur et ne se cachent pas des regards pour soulager leurs besoins ou se reproduire.
La pudeur se présente donc comme une protection, une digue contre la honte, elle se définit comme « la crainte de quelque chose de honteux » (Saint Thomas d’Aquin). Elle préserve un espace intime de l’intrusion de l’autre ou du regard de l’autre. Elle voile. La pudeur institue une zone limite entre moi et l’autre, elle fait bord. La pudeur est potentiellement prête à éclore chez chaque personne mais elle n’est pas donnée d’emblée ; elle se construit, s’édifie sous l’effet de facteurs internes et externes, tel que l’éducation/les relations parents-enfants.
Serge Tisseron, psychologue psychanalyste, affirme que la pudeur s’apprend par imitation par le biais de l’identification aux comportements pudiques de l’adulte. Ce qu’il entend par comportements pudiques, ce n’est pas tant la question de la nudité que la retenue dont le parent fait preuve peu à peu avec son enfant en jouant et embrassant le corps du nourrisson.

Autrement dit, un comportement pudique c’est le contraire de l’emprise, c’est l’acceptation maternelle du fait qu’il y a bien deux corps et deux psychés distincts.
Il est difficile de dater précisément l’apparition de la pudeur chez l’enfant. Cela dépend des enfants, de leur environnement socio-affectif, du bain culturel dans lequel ils sont élevés et de facteurs intrapsychiques. Si l’on reprend le mythe biblique d’Adam et Eve, la pudeur paraît lorsque le sujet se découvre nu. Se reconnaître nu et éprouver le besoin de se voiler/vêtir vient après avoir éprouvé le besoin – normal – de se montrer et de voir.
Des parents ont fait l’expérience de voir leur enfant prendre un certain plaisir à se balader tout nu à la maison devant le reste de la famille et il n’y a vraiment pas lieu de s’alarmer de cela, ni de réprimer ce mouvement dans la petite enfance.

Mais vient un moment où l’enfant se reconnaît comme être unique pourvu d’une intimité du corps et des sentiments. Il n’y a pas un âge précis, cela se fait selon le développement de chacun. Toutefois on pourra garder en tête le repère de la pré-puberté, moment auquel, si l’enfant ne voile pas lui-même sa nudité, les parents pourront l’inviter à le faire en lui redisant combien il est beau et unique et combien il est important de protéger son intimité corporelle et psychique.
Pour les parents, cela signifie aussi d’autoriser leur enfant à ne pas tout leur dire, c’est une véritable école de lâcher-prise. Laissons-leur avoir leur jardin secret qui viendra aussi nourrir cette compréhension de la nécessité de la pudeur.

La pudeur éclot ainsi et se conserve comme un trésor tout au long de la vie. Même entre les époux elle est nécessaire et instaure le temps du désir. Ainsi, la pudeur n’est pas synonyme d’absence de nudité. Mais elle ne réduit pas l’autre à son corps, elle remet un visage sur ce corps. En ce sens, le « regard désirant, peut être un regard pudique s’il ne fragmente pas car un corps fragmenté perd son unité et sa grâce ». C’est le mécanisme de la pornographie dans laquelle « la représentation objective des êtres se substitue à l’évocation de leur présence ». La pudeur est l’alliée du désir quand elle porte en elle les germes d’une vraie rencontre. Elle « n’est pas une fuite devant l’amour, au contraire, elle est un moyen d’y accéder… ».

Ainsi, la pudeur qui, à première vue, peut paraître une valeur négative, semble en réalité chargée d’une valeur positive. C’est plutôt le défaut de pudeur qui s’avère engendrer des conséquences négatives pour le sujet lui-même avant d’en avoir sur les autres. L’absence de pudeur dans les attitudes, les paroles ou l’usage des réseaux sociaux expose l’être humain à l’objectivation et au fait d’être entièrement transparent et vulnérable, c’est-à-dire à la merci d’autres malveillants qui le verront et l’utiliseront comme objet. La pudeur permet de conserver et protéger une dimension de mystère et d’énigme propre et indispensable à chaque être humain. Avec nos jeunes, évitons d’aborder le sujet de la pudeur avec des phrases qui commencent par « il faut ou il ne faut pas » mais tentons plutôt de leur montrer comment le voile de la pudeur qui voile et dévoile tour à tour, est garant d’une vraie rencontre avec l’autre dans laquelle chacun est appréhendé comme un être unifié.

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